La bonne tradition, chrétienne, qu’est-ce ? (Marc 7,1-23 (Mc 7,1-23) ; commentaire, exégèse)

(avec la TOB, Traduction œcuménique de la Bible ; Elian Cuvillier, L’évangile de Marc, Bayard, Labor et Fides, 2002 ; Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, G. Kittel éd., Kohlhammer 1950)

Prière de repentance – Commandements d’amour, notre tradition

Comme déjà constaté par rapport à son début, – invitation que Jésus nous adresse, dans la suite du Baptiste (Mc 1,4), à « se tourner vers le Règne de Dieu », résumé de l’Évangile, de la « bonne nouvelle » (Mc 1,15) -, tout l’évangile de Marc est habité par la question de l’esprit. Quels esprits règnent dans ce monde, dans nos vies, nos lieux du vivre ensemble, nos communautés et nos réseaux sociaux, nos familles et nos Églises ? Des « sales » esprits ou l’Esprit de Dieu ?

Ici dans notre passage que la TOB appelle « Discussion avec les Pharisiens sur les traditions », la question de l’esprit n’est pas abordée d’en haut, à partir de la qualité de l’esprit, mais d’en bas, à partir des pratiques qui découlent de la spiritualité. Quelle est la finalité des pratiques ecclésiales, de ses rites et de ses institutions ? Encore plus radical : notre vie, tout notre agir, quelles fins, quels sens, qu’est-ce servir Dieu, aimer Dieu ?

La réponse, ici pour le Jésus de Marc, réside dans deux termes :

  • la tradition, « paradosis », ce qui est donné par ceux et celles qui nous précèdent

  • et « koinos », que la TOB traduit par « impur ».

Commençons avec ce deuxième terme, « koinos » :

L’endroit que Marc a choisi pour placer le débat entre Jésus et les Pharisiens, spécialistes des Écritures, est déjà significatif. Il se situe entre les deux récits de multiplication des pains, fait partie de ce double pivot au centre de l’évangile, passage de l’élection spécifique du peuple juif à l’universalité du salut, révélation en tant que bon berger (6,34) et Christ (« Tu es le Christ » 8,29 … croix et résurrection 8,31) de ce Jésus de Nazareth, compagnon de vie de ses disciples.

« Pour bien comprendre cet épisode, il faut se rappeler la signification des douze paniers qui sont restés lors de la première multiplication (6,43) et anticiper sur les sept paniers qui vont rester lors de la deuxième (8,8). Ces chiffres symbolisent d’un côté le peuple d’Israël et de l’autre les nations païennes (cf. Ac 6,1-7). Les multiplications des pains manifestent ainsi le don de la nourriture eschatologique à tous les hommes, juifs et païens, quels qu’ils soient. Dans le don du pain à tous est déjà préfiguré le dernier repas de Jésus où lui-même donnera sa vie pour tous (cf. le parallélisme de vocabulaire de 6,41 et 8,6 avec 14,22-25). » (E. Cuvillier p. 140).

Le terme « koinos » comporte en lui-même cette ambivalence entre restriction exclusive et élargissement universel, séparation sacerdotale où le prêtre limite, inclue et exclue, et sacerdoce universel où tout un chacun s’autolimite1 :

« 1. en commun, « gemeinsam », jusqu’à à la vision d’un « communisme d’amour religieux » (« religiöser Liebeskommunismus », Tröltsch) de la communauté primitive, comme prolongement de la vie communautaire qu’a menée Jésus avec ses disciples et promesse eschatologique, … expression d’une posture d’amour rendu possible en Christ par l’Esprit.

2. profane. La conception de pureté matérielle des choses est dans le Nouveau Testament dépassée. Tout ce qui est créé par Dieu est pur. Ainsi, pour la communauté, il n’y a plus ni droit, ni jugement, ni obligations à l’égard ni des animaux, ni des humains. Il n’y a plus de profanité objective des choses. » (TWNT III, 796ss ; trad. AK)

Pour Jésus, impureté, saleté il ne peut avoir qu’au niveau de l’esprit, cf. Marc 1, 21-28, pour laquelle Marc utilise un autre terme.

Quels critères alors pour savoir ce qui est encore « pur », bienvenu et juste ? Aucun autre que les commandements de Dieu, résumés par le double commandement d’amour et, en conséquence, une lecture interpersonnelle, centrée sur les personnes et leurs relations, des Dix commandements, le Décalogue. Ceci Jésus l’illustre par rapport à la réception de la tradition à travers le commandement d’honorer son père et sa mère.

Maintenant, venons au premier terme « décisif », la tradition, « paradosis », ce qui est donné et transmis :

« paradosis, la transmission au-delà ou en dehors de la Loi (les Écritures, la Thora). … Jésus est d’accord avec les Pharisiens en ce qui concerne le bien que l’humain a à faire et à accomplir, l’obéissance au commandement de Dieu. Cependant, les humains, opposés à Dieu, sont incapables de compléter celui-ci. Dans son combat contre la tradition, Jésus ne convoque pas l’aspect de liberté. Mais, parce que son service de Dieu n’est pas légaliste, il n’ajoute pas d’autres commandements à ceux donnés par Dieu. » (TWNT II p. 174 ; trad. AK)

Donc, dans la suite de Jésus, la bible seule, sola scriptura, le principe qui nous est aussi cher en tant que chrétiens protestants.

A partir de là, en vue de la prédication, je relève par rapport à la vie chrétienne, la praxis, et tout particulièrement le culte :

  1. L’inscription dans l’histoire du salut dans son ensemble

  2. Histoire dont témoignent les Écritures

  3. Seule référence « traditionnelle » et « absolue », « donnée », didômi en grec, paradidômi (para-, « auprès de », idée d’origine ou d’auteur, mais aussi au sens local).

  4. « Tradition », les Écritures (la Thora et les Prophètes), que Jésus résume lui-même dans le double commandement d’amour.

  5. En Christ, et Christ seul, sa croix et sa résurrection, accessible à tout un chacun, indépendamment de sa « tradition », sa culture, son origine2.

  6. Ce qui veut dire, en conséquence, que le lieu du culte chrétien est la vie quotidienne et les relations que nous y entretenons, avec autrui et le vivant dans son ensemble.

  7. C’est celle-ci qui est censé devenir lieu d’interprétation, – spirituelle, dans quel esprit ? celui des commandements d’amour ? -, de ce que le croyant a retenu des Écritures. Shabbat et huitième jour de la création au même temps, lieu offert pour prendre distance, revisiter sa vie et rebondir à la lumière de la grâce de Dieu.

Armin Kressmann 2018

1L’enjeu est donc hautement « moderne » : quel « nomos », quelle loi règle notre vie, hétéro- ou autonomie, loi imposée de l’extérieur ou loi, règles de vie librement choisies ?

2Paradidômi, qu’on pourrait interpréter christologiquement, « auprès du Christ », don ultime du Père ; c’est notre « tradition ».

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