Jean 6,51-58 (Jn 6,51-58) – Croquer la vie (commentaire)

« Je suis le pain vivant qui descend du ciel … Et le pain que je donnerai, c’est ma chair (v. 51) … Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour (v. 54). »

Le pain … la chair …

Le sang … la vie … le ciel …

La communion … la résurrection et la vie éternelle …

… tout cela, grâce au Père (v. 44), en ce Jésus, « Fils de l’homme » (v. 53), qui nourrit les foules (ch. 6).

Résistances il y en a :

« N’est-ce pas juste ce Jésus, fils de Joseph (v. 42) ? »

« Cette parole est rude ! Qui peut l’écouter ? (v. 60) »

Commençons avec le ciel, parce que c’est de là que nous advient le salut.

Le ciel, un singulier, en grec, un pluriel, « des cieux », si c’était de l’hébreu, un pluriel dont le singulier veut simplement dire « là ». Le salut n’est pas d’ici ; il nous arrive de là, et de là, et de là … il vient d’ailleurs (Esaïe 55).

Et pourtant, de « Jésus, fils de Joseph », « fils de l’homme », de celui qu’on connaît ou qu’on croit connaître ? Donc d’ici, quand même ?

Les paradoxes se succèdent : d’ici ou d’ailleurs, du ciel ou de la terre, du pain ou de la chair, du Père ou du Fils, de Dieu ou de l’homme ?

On aimerait de l’extraordinaire dans l’ordinaire, son ordinaire, notre ordinaire, mon ordinaire, un signe, « pour que nous voyions et (te) croyions » (v. 30), mais on s’en méfie quand il est ordinaire, pain, chair, sang, homme humain. L’humanité ne veut pas d’humanité, le divin doit être divin, au ciel, mais quand même nous toucher, tout en restant divin. L’ordinaire ne peut pas être extraordinaire.

« Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie. » (v. 53)

Évidemment pouvons-nous partir de l’ordinaire et d’en faire de l’extraordinaire, faire du pain quotidien le corps du Christ, comme l’Église le fait dans l’eucharistie ou, avec nuances, dans la sainte cène. Mais le texte fait le contraire, le mouvement va dans l’autre sens, il part du ciel : l’extraordinaire, le ciel, est dans l’ordinaire, il est « descendu du ciel », et signe autre il n’y a pas, plus, autre que « fils de l’homme », « je suis ». C’est lui que nous devons « consommer », lui qui est la vie (Jean 11,25 et 14,6), c’est la vie que nous devons consommer, en toute son épaisseur « chair et sang ». La vie est le lieu du royaume de Dieu, c’est là, et là, et là, que nous sommes invités à partager le repas messianique. Parce que la vie, la vie ordinaire, est inspirée : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire … » (v. 44)

Chair et sang ?

La chair, « sarx » en grec. « basar » en hébreu, chair par rapport aux os, muscles, corps et finalement l’être physique tout entier. L’homme face à Dieu, comme créature, est chair, en chaque moment exposé à la mort. C’est le souffle de Dieu qui lui donne vie. Si opposition il y a, pour la pensée biblique, ce n’est pas entre chair et esprit, mais esprit « sale » et Esprit de Dieu. Chez Jean, l’utilisation de « sarx » est traditionnelle (TWNT p. 138) : chair, corps (« Leib »), existence extérieure de l’humain, parenté, humanité, et, dans un sens transposé, existence humaine en toute sa fragilité.

Aujourd’hui, pourrait-on parler de condition humaine ?

C’est dans cette humanité que se manifeste Jésus, dans notre condition humaine tout humaine, par son humanité tout humaine. En lui se concentrent corps et esprit, en lui la parole prend corps et le corps devient parole, prend sens et devient vie éternelle. Condition humaine est condition chrétienne.

« Croquer » cette humanité est ce à quoi nous invite notre texte, croquer la vie telle qu’elle est en toute sa fragilité, affronter la croix avec cette parole devenue corps et vie, vivre la résurrection. au fond un court-circuit spirituel qui rend vain tout effort qui veut faire Église qui veut administrer le salut. L’eucharistie est inscrite dans la vie si cette parole-corps est reconnue, mangée et digérée. L’Église est la conséquence de la communion avec le Christ, reconnu vivant dans ma vie, dans mon quotidien, dans ma vie de tous les jours, et non pas sa condition.

Le Christ pain quotidien ! Ce pain … qui n’est rien, non pas parce qu’il n’est rien, mais parce qu’il est quotidien. Ici, dimanche, c’est tous les jours, et Dieu ne se repose pas, ou se repose tous les jours, non pas parce que c’est dimanche, mais humanité. « Kreatürlichkeit », – humanité consciente de son état de créature, du fait que c’est un autre qui crée quand je crée -, et « Geschwisterlichkeit » se suffisent à elles-mêmes.

Vivre dans l’Esprit qui vivifie :

« C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » (6,63)

Ce n’est pas parce que vous êtes rassasiés que vous devez croire (v. 26), mais parce qu’il y a vie, parole-corps vivant(e), là, et là, et là (v. 27) …

Mais l’Église s’interpose toujours et relativise notre texte, lui ôte sa radicalité et ramène la vie à l’eucharistie, la messe, sa liturgie, son œuvre à elle. Elle « administre » le Christ, l’enlève du quotidien des croyants.

Armin Kressmann 2018

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