Noël – Aimer soi-même parce qu’on aime l’autre (Marc 12, Matthieu 22, Luc 10) ou Quand l’amour ne suffit pas

Parlons d’amour, toujours et encore une fois.

Aimer l’autre et soi-même dans son altérité n’est pas une question de l’amour du prochain, mais de l’amour de celui, ou de celle, qui est lointain, caché, inatteignable en soi, même soi-même en ce qui nous est étranger et obscur en nous-mêmes. La Bible sait de quoi elle parle quand elle désigne l’amour de l’Autre, le « Seigneur notre Dieu », premier commandement,

« tu l’aimeras », – ce n’est pas seulement un commandement, mais aussi est surtout une promesse, promesse de Noël réalisée à Pâques sur la croix -, « de tout ton cœur, de ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force » (Marc 12,30)

Aimer autrui comme prochain est l’aimer comme un même. En principe c’est simple, pas d’effort particulier à faire. S’accepter tel qu’on est, l’un et l’autre, suffit ; l’amour suffit.

Aimer l’autre dans son altérité est le grand défi. Aimer l’autre, et soi-même, dans son altérité, en ce en quoi on ne se reconnaît pas, ne découle pas de l’amour du prochain, mais de l’amour de l’Autre, de celui ou de celle qui est inaccessible, « Dieu » dans le langage de la foi judéo-chrétienne. Et c’est tellement compliqué que même les auteurs bibliques ne s’accordent pas entièrement, ce qu’ils font par contre pour l’amour du prochain, l’amour du même ; par rapport à l’amour de Dieu, le premier commandement, ils disent :

« … tu l’aimeras de tout ton cœur, de ton ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force » (Marc 12,30)

«  … de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée » (Matthieu 22,37), Matthieu qui parle aussi du « grand commandement »

«  … de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée » (Luc 10,27)

Évacuer Dieu, – l’autre dans son altérite absolue, tout-autre -, de notre plein effort d’aimer, là où il nous est impossible d’accepter autrui ou nous-mêmes comme tels, réduit le double commandement d’amour au « simple » amour du prochain, l’amour de celui ou celle qui n’est vraiment autre, mais seulement différent, – qui diffère par rapport à une base ou une norme commune. Comment aimer l’autre dans son altérité quand il n’est pas, au moins un peu, comme moi, quand je ne peux pas du tout m’y reconnaître ? Voilà le grand défi, chemin qui ne passe qu’à travers le tout-autre, celui, ou celle, qui s’est fait « même » en cet enfant de Noël auquel tout le monde peut s’attacher.

Noël chez Matthieu et Noël chez Luc parlent de l’amour du prochain, de l’amour de l’autre comme un même ; ce n’est que sur la croix que cet amour-là se brise, là où l’altérité fait irruption dans ce qu’on a cru même.

Noël chez Marc, dès le départ, parle de l’amour de l’autre comme autre, à travers le témoignage de Jean-Baptiste et la proclamation du Règne de Dieu de Jésus après son baptême et son séjour au désert.

Commun au trois évangiles « synoptiques », justement, est cet Esprit qui pousse et conduit l’amour dans le désert de la tentation (Marc 1,12.13; Matthieu 41,-11; Luc 4,1-13), mais qui est aussi celui qui préserve de cette même tentation, la tentation de vouloir vaincre la mort comme une réalité du même ; la mort n’est pas vie ; mort y a-t-il quand il n’y a plus ou pas de vie. Mais tout cela ne se comprend, – de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre pensée et de toute notre force -, qu’après Pâques.

Armin Kressmann 2017

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