Le renouvellement du culte réformé (Sainte-Claire Vevey EERV)

Pour pouvoir jouer un jeu il faut connaître et respecter ses règles. Il faut savoir de quoi il s’agit et connaître sa finalité. C’est une question de langage partagé ; si son vocabulaire et sa grammaire nous échappent, nous ne pouvons pas le jouer, même pas le reconnaître. Il nous reste étrange et étranger.

Voici le problème de nos cultes réformés, où le nombre de ceux et celles qui savent le lire et s’y reconnaître diminue d’une manière dramatique. De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qui s’y passe ? Quels sont les enjeux ? D’autant plus que l’essentiel, chez nous les réformés, passe par la parole, donc l’entendement ; c’est compliqué. Le pain est sec. La médiation entre les situations de vie des participants et le message « porteur de salut » ne fonctionne plus. Le cercle de compréhension et d’appropriation, l’herméneutique, le mouvement entre la vie, ma vie, et la parole de vie, la « révélation », se fige : j’attends quelques chose, toujours et encore, le « pain de vie », mais en ce qui m’est offert et donné je ne le reconnais plus, même s’il est là ; nous ne résonnons plus ensemble (en grec « katéchéô », faire écho). D’autres savent mieux faire résonner, mais ce n’est pas forcément une vibration avec la parole telle que nous la défendons, nous les réformés, celle qui me révèle qui je suis, face à l’autre, tel qu’il est, et comment nous pourrions mieux vivre et jouer ensemble, reconnaître les règles du jeu du vivre ensemble et nous les approprier. Le culte réformé, en toute sa beauté, devient hermétique ; même si je suis là, je n’y participe plus ; sauf le petit cercle des initiés sait goûter le pain sec. Mais pour les autres, aujourd’hui, la table doit être une « grande table » et le repas doit être « gastronomique ».

Voilà le dilemme d’un lieu comme Sainte-Claire Vevey qui cherche à rejoindre ceux et celles qui ont faim là où ils sont, sans perdre de vue ce à quoi nous aspirons tous et toutes : le « divin ». Le culte, comment pointe-t-il le divin ?

Dans la paroisse de Vevey de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), dans la grande église de Saint-Martin, le culte, en toute sa beauté, est traditionnel ; il est déductif, la démarche est propositionnelle : tout est pensé à partir de la parole biblique. Le ministre prépare le culte dans son ensemble, liturgie, prières et prédication, à partir et en lien avec un texte biblique qu’il a choisi lui-même ou qui lui a été proposé par un lectionnaire, donc une liste de propositions de texte bibliques pour le culte dominical. Son travail, – tout en étant double, exégétique autant du côté du ou des textes bibliques retenus que du côté des situations de vie en lesquelles le ou les textes devrait résonner, ou, théologiquement mieux dit, dans lesquels les fidèles devraient se reconnaître, eux et leurs situations de vie -, privilégiera toujours, pour des raisons pratiques déjà, l’exégèse biblique, au détriment de l’analyse des situations de vie actuelles. Pour rejoindre les préoccupations des fidèles, le ministre doit s’imaginer des situations de vie particulières, voire singulières, et les universaliser. Les fidèles, sans être autrement « actifs » que par leur présence, la participation aux chants et à la communion, suivent, – ou ne suivent pas -, ce qui leur est proposé, parfois peut-être imposé. Leur adhésion au message est passive, au moins non-verbale. Pour ceux et celles qui ne connaissent pas ou mal les « règles » du jeu, la liturgie, vocabulaire et grammaire de ce qui se passe, l’effort de s’y reconnaître est énorme. On est de cette culture ou on n’y est pas du tout ; aussi, les situations de vie sont tellement différentes les uns des autres que l’universalisation est un enjeu immense ; la pluralité fait exploser l’unité. Il est donc rien que normal que seule une minorité de nos contemporains s’y retrouve encore, d’autant plus que le culte n’est pas « spectaculaire », et cela dans un monde qui a pris l’habitude de ne valoriser que ce qui émotionnellement est fort et extraordinaire. Raison et argumentation, forces de la foi réformée, sont « fades » ; si émotionnellement je ne suis pas touché et emporté, le message ne vaut rien. Cependant, cette façon de vivre le culte mérite toujours d’être maintenue, pour plusieurs raisons, dont celle de nous rappeler et faire comprendre constamment l’altérité de l’autre, minuscule et majuscule, donc notre impuissance d’être « juste » à son égard ; ne pas reconnaître celle-ci s’appelle « péché ». Cependant, quand la grâce dont nous témoignons par la parole en chaque culte, émotionnellement, n’est pas à la hauteur de cette réalité de faute grave mal vécue, elle non plus touche, et l’un et l’autre, péché et salut passent à la trappe.

Tout en étant dans le même mouvement, la dynamique du cercle herméneutique, ce qui se passe dans l’autre église de la paroisse réformée de Vevey, à Sainte-Claire, veut y entrer autrement, non pas par la « porte » biblique, mais celle de la vie des participants, donc d’une manière inductive : quels sont vos soucis, besoins, désirs, ambitions et aspirations, vos joies et vos peines ? Pour cela, dans la pluralité des situations dans notre société, il faut le demander aux personnes présentes ; ce sont elles qui doivent donc pouvoir s’exprimer et se dire ; le culte devient participatif. Le ministre, – tout en restant porte-parole de ce « divin » dont il s’agit, mais plus lui seul -, devient aussi et peut-être prioritairement garant des règles du jeu, du jeu qui se joue entre les fidèles et ce Dieu pour eux présent parmi eux, en sa Parole et par l’Esprit, la liturgie, les « règles », ne définissant rien d’autre que le terrain sur lequel ce jeu d’interaction a lieu.

Il s’avère maintenant que prendre la parole dans un culte, – au-delà du témoignage personnel, parce qu’il faudrait viser l’universalité, de l’actualité et du message biblique, la proclamation de la Parole du salut en Jésus Christ pour chacun et chacune -, est un long chemin d’apprentissage. Même pour ceux et celles qui connaissent parfaitement les « règles du jeu », les fondements et la liturgie de la foi chrétienne réformée, prendre la parole et jouer le « jeu » in vivo, sans que le « ministre » pense pour eux, l’exercice est difficile, voire impossible. On n’a pas l’habitude, on ne l’a tellement pas, qu’on ne peut pas assumer la liberté de parole quand celle-ci est enfin donnée ; au contraire, cela désécurise voire angoisse, un malaise s’installe. Ils sont comme des footballeurs professionnels qui se retrouvent perdus sur un terrain de foot qui attendent que leur entraîneur leur dise quels passes et coups ils devraient jouer maintenant pour atteindre le but ; l’arbitre a sifflé, la liberté de jouer est donnée, le jeu est ouvert, mais rien ne se passe.

Ils faut donc élaborer une nouvelle liturgie ou, plutôt, un démarche qui permet aux fidèles de s’approprier celle-ci, les règles du jeu qu’ils connaissent parfaitement, – Saint-Martin -, mais qu’ils n’osent pas appliquer eux-mêmes au jeu collectif, – Sainte-Claire -, sans autorisation et accompagnement explicites.

Quelles implications pour les ministres, les pasteurEs de notre Église qui souhaiteraient que le culte soit un peu plus vivant et participatif ?

L’exégèse biblique

Devant Dieu et en dialogue de prière avec lui, – prière qui ne se confond pas avec l’exégèse, mais qui est une mise en état pour que l’exégèse se fasse dans de bonnes conditions, s’agissant du « salut du monde » -, l’exégèse du texte biblique, – différentes approches et méthodologies, en fonction des circonstances, peuvent se justifier -, est un des éléments fondamentaux, si ce n’est pas l’élément fondamental du ministère pastoral tout court : entrer en discussion avec l’auteur (ou les auteurs) du texte, son langage, sa pensée, sa foi, son temps, les hommes et les femmes dont il parle et leur expérience de foi, leur rapport à Dieu, leur rapport à la question de Dieu et, en conséquence pour le chrétien, à la question de l’homme, de ce qu’est et fait l’être humain. En communauté cultuelle, le travail exégétique rend présent le tiers absent, lui donne « Gestalt » et lui rend la parole, – ce que la seule lecture ne permet pas -, rend possible un dialogue raisonné avec lui, – à travers ce que nous appelons la prédication, qui elle peut prendre des formes diverses -, et fait ainsi sortir la communauté d’une ré-flexion sur et par elle-même. L’exégèse est d’autant plus nécessaire et importante que la discussion entre les membres de la communauté est ouverte, pour que l’altérité de la parole biblique et finalement de Dieu soit maintenue et respectée. Donc, cette parole n’est pas parole parmi d’autres, mais « magistère », seule magistère pour les réformés, parole avec laquelle on peut « se battre », qu’on peut contester, sans qu’elle soit en soi contestable. Sans être absolue, car Dieu seul est absolu, elle a un statut particulier, elle est « canon », donc règle, mesure par rapport à laquelle toute autre parole doit se mesurer.

Le « mind map »

Les résultats de l’exégèse constituent le réservoir de paroles du tiers devant lesquelles toute parole exprimée lors du culte doit se mesurer et finalement se justifier. Elles forment une sorte de carte mentale, formalisée en « mind map », qui permet à l’exégète d’injecter ce qu’il a à communiquer lors des échanges de paroles dans le culte, notamment au moment de la prédication. Plus ouvert est l’échange avec l’assemblée, moins à préparer du côté du contexte actuel, parce que celui-ci peut être dressé sur place par les personnes présentes, ici et maintenant. Le culte devient partage et permet à tout un chacun de s’exprimer.

La liturgie

A tout un chacun de s’exprimer ? Oui, mais dans le cadre des règles du jeu que constituent les différents éléments ou rites de la liturgie chrétienne. Ce sont eux qui déterminent le terrain et les espaces dans lesquels le « jeu » est plus ou moins libre, c’est-à-dire où les participants au culte peuvent s’exprimer librement, en connaissance des règles du jeu, dont la mesure ultime est toujours biblique (le « canon ») :

Le rites et l’entre-rites (les règles du jeu et le jeu lui-même) :

    • la salutation (apostolique) : c’est Dieu, en Jésus Christ qui accueille, c’est-à-dire la grâce précède l’ensemble ; on est dans la verticalité (en Église de Jésus Christ) ; l’alliance est offerte, le royaume est là

    • l’accueil mutuel ; on est dans l’horizontalité, ce qui pose l’enjeu de l’incarnation, « Emmanuel », Dieu parmi nous

    • Psaume, louange, confession : reconnaître nos limites et failles, ce qui nous sépare les uns des autres et chacun, chacune, comme l’ensemble de Dieu (le péché), qui, au même temps, offre son pardon déjà effectif en l’histoire du salut qui nous précède

    • la Bible … sa lecture … et les paroles dont elles est porteuse : partage de la parole, afin que la Parole s’incarne, deviennent corps et nous anime, avec les éléments « homilétiques » issus de l’exégèse (la « liturgie de la parole »)

    • la communion … le pain et le vin … la « liturgie de la cène », la célébration du « repas du Seigneur » : être Église, lieu de présence réelle du Christ, réalisée et animée par l’Esprit ; l’alliance est confirmée et renouvelée

    • confession, offrande, intercession, prière, les uns pour les autres, reprenant les éléments d’actualité personnelle et collective, s’inscrivant dans l’histoire du salut déployé dans la Bible ; avec la cène, appropriation et adhésion personnelles

    • le Notre Père, inscrire le personnel dans l’universel de la foi chrétienne

    • l’envoi dans le « monde », la réalité de la vie de tout un chacun, pour y reprendre l’œuvre créatrice de Dieu, son alliance en Jésus Christ

    • la bénédiction : en Jésus Christ, tout est possible …

« Proclamez que le Règne des cieux s’est approché.

Guérissez les malades,

ressuscitez les morts,

purifiez les lépreux,

chassez les démons.

Vous avez reçu gratuitement,

donnez gratuitement. »

Évangile selon Matthieu 10,7s

Armin Kressmann 2017

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