Matthieu 1,18-24 (Mt 1,18-24) – Premier commentaire : « Marie, une femme comme toutes les autres » et « Tout enfant est un enfant de Dieu »

(avec la TOB (Traduction œcuménique de la Bible) ; André Chouraqui ; Matyah, Evangile selon Matthieu ; JClattès, 1992 ; Pierre Bonnard, L’Évangile selon Saint Matthieu, Labor et Fides, Genève 1982)

Le premier verset de notre passage pose le décor : Marie est humaine, humaine comme tout humain, une femme comme toutes les autres, exposée aux aléas de la vie comme nous le sommes tous. Ici, la réalité est ce qu’elle est, Marie attend un enfant d’un autre ! Ainsi, pour Joseph, son mari, se pose le défi de l’accepter telle qu’elle, elle et son enfant, en la situation qui est la leur, telle qu’elle est.

D’où partons-nous quand nous fondons une famille et voulons mener une vie en couple et en famille, avec ses hauts et ses bas ? De la réalité telle qu’elle est, des « faits », ou des idéaux que nous nous faisons de nous-même, de l’autre et de la vie en communauté familiale ? Puis, sommes-nous prêts à remettre notre vie et notre avenir, – l’Avent, ce qui adviendra -, dans la main d’un autre, de l’autre, de Dieu et de son Esprit, sa présence, sa parole, son amour, ce qui nous précède, ou voulons-nous forger l’autre et notre avenir selon nos idées et idéaux à nous ?

La réponse de notre texte est cinglante : si vous n’en finissez pas avec l’idée selon laquelle l’autre est « idéal », en l’occurrence Marie pour Joseph, vous n’avez pas d’avenir commun.

Le début de l’évangile de Matthieu pose « l’idéal », la généalogie (Mt 1,1-16) selon laquelle le sauveur doit être descendant du père des croyants, Abraham, en ligne direct, en passant par David, le fondateur de la « nation », donc « Fils de David » (v. 20). Joseph est le garant de cette lignée. Mais voilà, il y a problème : l’enfant n’est pas de Joseph, la réalité ne correspond pas à l’idéal. Ce n’est que par l’intervention d’un autre, à laquelle il faut faire place, – comme par ailleurs aussi à l’enfant qui va naître -, cet autre que représente l’ange, messager du tout-autre, – qui lui par définition ne se laisse par enfermer dans un idéal humain quel qu’il soit -, que les choses « s’arrangent » ; sans dérangement, pas d’arrangement :

« Voici que l’ange du Seigneur apparut en songe (à Jospeh) et lui dit : ‘Jospeh, fils de David, ne crains pas de prendre Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.’ » (Matthieu 1,20-21)

C’est « par définition », une intervention divine, que l’enfant est légitimé :

« Le nom de l’enfant (Iéshoua’, ‘Yah sauvera’) n’est pas choisi par le père ou la mère comme en était l’usage, mais directement par la messager de DIEU. (c’est) en proclamant le nom de l’enfant, Iosseph en devient légalement le père. » (Chouraqui, p. 62)

Dieu assume ce que l’humain, sa loi, n’arrive pas à arranger. La loi condamnerait Marie et l’exposerait à la lapidation, ce qui impliquerait aussi la mort de l’enfant :

« Ne désirant pas sa disgrâce », degmatisai en grec, « blosstellen », désavouer, n’est employé que deux fois dans le Nouveau Testament. « L’imprécision du terme grec traduit bien l’embarras de Iosseph, qui a le choix entre la dénoncer, au risque de la faire lapider pour adultère, la répudier en secret pour ne pas l’exposer à la disgrâce, ou même à la lapidation, ou d’accepter les faits que sa raison a du mal à saisir. Son effacement conditionne ici la naissance de Iéshoua’. » (Chouraqui p. 61)

Dieu « recompose » la famille, selon sa volonté, qui, elle, est amour. Dieu sauve ce qui est condamné, et l’enfant issu de cette histoire, histoire de famille, est lui-même sauveur, « Dieu sauve, Jésus, parce qu’il sauvera son peuple de ses fautes » (v. 21), Marie et Joseph1 inclus, « Dieu avec nous », « Emmanuel » (v.23).

Le salut chrétien passe par une famille recomposée, que cela nous plaise ou non. Tout enfant, quelques soient ses conditions d’arrivée dans ce monde, est un enfant de Dieu. Voici la pointe « théo-logique » de notre récit, et non pas la « conception virginale ».

Par rapport à celle-ci, Luc 1,26 TOB note :

« La mission de Jésus est décrite d’abord comme celle du Messie traditionnel avec les oracles d’Esaïe, dont 7,14 …, puis comme celle du Fils de Dieu par excellence … La conception virginale est le signe de cette filiation unique et mystérieuse. »

Dans une lecture moderne, au lieu d’insister sur la conception virginale, – qui permet à l’Église d’exercer un pouvoir moral démesuré sur les femmes et de s’approprier le salut -, je mets en valeur l’action du Saint Esprit (Luc 1,35 ; Matthieu 1,20), par lequel Dieu lui-même adopte cet enfant issu d’une situation familiale que nous appelons aujourd’hui « recomposée » (« adultère »). Ainsi, au lieu de qualifier l’événement « d’unique et mystérieux » comme la TOB le fait, j’y voit une action mystérieuse et universelle. Tout enfant, quelque soit le contexte de sa naissance et quelque soit ses aptitudes et sa « capabilité », est un enfant de Dieu. Ainsi se légitime l’appellation « père, papa », « Notre Père » (et non pas mère2), parce que Dieu, par opposition aux pères humains qui contestent la paternité naturelle, adopte, « naturalise » tout enfant. Notre récit conteste radicalement la biologisation de la paternité. Qui se lie à l’autre, ici la femme, elle et son enfant, le fait d’une manière inconditionnelle.

« Dans l’intimité d’une famille davidique juive, que rien ne désignait pour une telle destinée, intervient discrètement et souverainement le Seigneur, c’est-à-dire le Dieu d’Israël … par son Esprit (v. 20) puis par son ange expliquant l’œuvre de cet Esprit (v. 20 et 24) …

la conception virginale de Jésus n’a pas joué un rôle prépondérant dans la pensée et l’enseignement du christianisme primitif …

Immédiatement, il s’agit de naissance … le texte ne fait aucun mystère à ce sujet ; il ne raconte pas la naissance d’un enfant merveilleux qui sera un jour une grande personnalité au sens des ‘hommes divins’ du monde hellénistique ; il parle à des croyants pour préciser ou corriger la façon dont ils se représentent la naissance du Christ Jésus. …

Chaque fois que Matthieu fait mention de l’Esprit, c’est pour décrire une action souveraine de Dieu …

Joseph … tient Marie pour coupable d’adultère ; … c’est une fidélité à la loi, une piété humble et active qui culmine dans un geste concret de miséricorde. » (Bonnard, p. 18-20)

Il faudrait dépasser une fois pour toutes la vision de la « conception virginale » qui stigmatise toutes les femmes réellement existantes, Marie incluse, pour enfin arriver à une vision beaucoup plus radicale, celle de « l’accueil radical » que Dieu offre à tout humain (et être vivant). Tout enfant, encore une fois, en Jésus Christ, est un enfant de Dieu. Et c’est ça le miracle chrétien, la reconnaissance de tout autre comme même en Dieu.

Seule la non-reconnaissance de ce miracle-ci mérite l’exclusion, mais une exclusion « passive », c’est-à-dire une exclusion que s’impose à soi-même celui qui ne reconnaît pas autrui comme même.

Donc, mettre en avant la « conception virginale » n’est pas seulement naïf, mais stratégique, un moyen pour soumettre, « dominer » (!), la femme à l’homme, voire contester la pleine humanité de la femme par sublimation mariologique, en prétendant que les femmes réellement existantes ne soient pas à la hauteur de cet idéal mariologique, alors les « déclasser » par rapport à ce Joseph, garant de la généalogique davidique qui fait remonter la « bonne » filiation à Abraham, le « père de tous les croyants ».

Non, je ne suis pas un féministe, je suis un humaniste.

Et je ne suis pas un libéral non plus, je suis un fondamentaliste.

Le double commandement d’amour l’emporte sur tout le reste ;

comme pour Jésus d’ailleurs.

Armin Kressmann 2016

1N’oublions pas que Joseph, lui aussi, en prenant Marie comme femme, est « désobéissant », et cela par rapport à la loi humaine.

2Parce que c’est le père qui conteste la paternité, et Dieu, en ce cas-là, adopte, légitime donc ce qui est délégitimé par le père « naturel ». Naturellement, pour Dieu, le Père, tout enfant est un enfant naturel.

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